12 Rue Auguste Laurent,
J’avais pour habitude d’aller tous les mercredis chez ma grande-tante Emma. Avec ma mère, c'était notre point de rendez-vous, notre instant féminin intergénérationnel. Emma était la sœur de ma grand mère décédée 17 ans plus tôt. Je considérais Emma comme ma deuxième grand-mère. Elle n’avait pas d’enfant et était veuve de son mari, un ancien combattant. Emma était sourde de naissance, mais elle s’est toujours battue contre son handicap et sans se faire aider, elle a appris seule à parler en lisant sur les lèvres, sa prononciation était souvent à côté, mais elle savait très bien se faire entendre. Pour parler avec elle, il suffisait d’être face à elle, d’être pleinement avec elle. Emma m’impressionnait à comprendre toutes les séries à l’eau de rose venant d’Amérique, d’Allemagne ou d’Espagne. Elle était sans doute polyglotte. Emma est décédée le 24 avril 2020, ce n’est pas le covid 19 qui l’a emporté mais le confinement. Elle avait ses habitudes, ses sorties de quartiers de la place Voltaire à Paris. L’enfermement l’a fait vieillir d’un coup et son cœur s’est arrêté subitement. Elle avait 92 ans, une pêche d’enfer et semblait à mes yeux immortelle.
Je me suis toujours bien sentie chez elle, j’adorais son deux pièces mi-vieillot mi-château. Après le déjeuné, je m’asseyais à côté d’elle sur ses fauteuils à l’allure rococo et pour entendre les résumés de ces séries préférées. Emma était une femme forte, généreuse, drôle, bienveillante et positive. Elle me donnait beaucoup de courage. Elle était un personnage à elle toute seule et sa voix si particulière me réchauffait le cœur. C’était une femme très coquette qui aimait se maquiller et s’habiller. Une fois déconfinée, j’ai du m’occuper de vider son appartement, de vendre tous ses meubles, toutes ses affaires, un à un ne pouvant les garder faute de place. Cela a été un déchirement pour moi de gérer cette étape, d’être là-bas tous les jours sans elle. Et puis, on se rend à l’évidence ce ne sont que des meubles et sans elle, ils n’ont plus de vie. L’appartement était nu et je l’étais aussi. Elle était là partout et en même temps nulle part. À la façon d'une antiquaire, au fur-et-à-mesure de ce déménagement et avant de rendre les clefs, j’ai capturé en photo tous les objets qu'elle aimait pour les garder pour toujours. J'avais aussi envie de garder la trace de ma présence avec elle dans cet appartement où j'avais été si heureuse, celui de l’appartement du 12 rue Auguste Laurent, celui de tata Emma.